La forge neuve

FER - FONTE - ACIER

PROTECTIONNISME, PUDDLAGE ET PATRIMOINE FONCIER

Protectionnisme :

Un protectionnisme douanier* favorise encore "les Demangeat" qui constituent à la Restauration un important "conglomérat" du fer régional et s'impliquent dans les forges au bois de Moisdon (la Forge Neuve et son annexe Gravotel), la Hunaudière acquise en 1809, la Poitevinière et son annexe la Provostière avec l'achat et l'affouage des bois environnants*.

Le "bien national" de la Forge Neuve est restitué au dernier des Condé en 1815* qui le léguera au duc d'Aumale en 1830*, François Demangeat en est encore le directeur lequel afferme sa forge rénovée de la Hunaudière à Auguste Garnier fils, où est construite en 1825* la grande et belle maison aux encadrements et chaînages de pierres blanches : cette maison "éclectique" loge la direction, commis et directeur.

Mais l'outil de la Forge Neuve est encore le préféré des maîtres de forges régionaux : à la mort de François Demangeat en 1827 ses neveux* continuent la direction de la Forge Neuve. Cette forge occupe alors "40 hommes et 5 enfants à l'intérieur de l'usine, plus 220 hommes et 15 enfants pour le bûchage, la carbonisation et le transport des bois qui nécessitait aussi l'entretien de 280 chevaux", d'autres ouvriers occasionnels sont employés en forêts et aussi des mineurs, concasseurs, laveurs de minerais ou "bocqueurs" de laitiers. Le minerai venant surtout de la Meilleraye et d'Abbaretz est charroyé sur 9 km de voie royale par une douzaine de voitures à 4 chevaux*, le total des employés pour la forge peut dépasser 400.

Puddlage :

Une forge d'affinage "à l'anglaise" conçue en 1821 par des maîtres de forge gallois (MM John Thomas & Cie) pour 3000 tonnes de fer par an débute avec 4 fours à puddler* à Basse-Indre, face à Indret, près de Nantes. Pionnière pour la France, 40 ans après l'Angleterre, comme celle de Dufaud et Boigues à Trézy puis Fourchambault dans le Nivernais et celle de de Wendel à Hayange. "L'avantage de cette méthode d'affinage est d'économiser le combustible, la main d'oeuvre, et de suffire par la rapidité de la fabrication aux besoins sans cesse croissants de l'industrie" (le journal l'Illustration* d'août 1845).

La forge de Basse Indre, n'utilisant pas l'énergie hydraulique, prévoit de s'approvisionner en fonte et houilles anglaises arrivant facilement par l'estuaire de la Loire : cette conception, contrecarrant Fourchambault et les propriétaires de forêts, est mal considérée par l'Etat et autres grands industriels qui intègrent déjà, de la mine au fer, le processus de commercialisation.

Pour construire et conduire les premiers fours à puddler français, des ouvriers anglais sont embauchés à grands frais (13 F la tonne). Les machines, les fournitures, les ouvriers spécialisés anglais, autorisés par ordonnances royales*, sont en activités dès 1824. Mais le Gouvernement anglais s'étant opposé à la livraison des laminoirs et de la machine à vapeur de 55 ch ce matériel sera chargé secrètement sur un navire caboteur breton.

Pénible mais efficace :

Le "PUDDLAGE" nécessite une grande expérience : par des portes ouvrant sur la fournaise, le brassage au ringard du bain de fonte est très pénible, le maître ouvrier y rassemble des boules pâteuses de 30 à 50 kg sorties du four par des grandes pinces, portées rouges sur un chariot, ces loupes seront cinglées et formées en fer marchand par un train de laminoirs, le processus dure environ deux heures.

Un four occupe constamment 2 ouvriers, le déchet de fonte est de 10% et on produit 2 à 3 tonnes de fonte par 24 heures en brùlant un poids équivalent de houille, le laminoir puddleur ou cingleur, est souvent précédé d'un petit pilon cingleur.

"L'établissement de la Basse-Indre, où MM J. Thomas et compagnie fabriquent le fer, au moyen de fourneaux à réverbère et de laminoirs, a, pour ce département, le caractère de la plus utile nouveauté, puisqu'il convertit en fers doux et estimés, des fontes indigènes, qui ne donnaient naguère que du fer cassant et méprisé. Il a amené une diminution dans le prix de ce métal et a fait repousser le fer à cercles qu'on tirait d'Angleterre. S'il a encore quelques chefs d'ateliers étrangers, il en forme du moins de nationaux et occupe une population considérable tant dans l'usine même, que pour l'apport des matières premières et pour l'export de celles qui sont fabriquées. [...] Notre département lui devra un nouveau débouché pour ses houilles et la complète régénération des hauts fourneaux de Bretagne. MM Thomas et compagnie, paraissant avoir rempli au plus haut degré les conditions du concours, c'est à eux que le Jury propose de décerner la médaille d' or." (Exposition des produits de l'industrie à Nantes en 1824).

Cette même année l'ingénieur Landrin apporte des améliorations* : "La flamme qui s'échappe du laboratoire [bassin de fusion de la fonte dans un four à réverbère] par la cheminée est tout à fait inutilisée. En 1824 je me suis, le premier, servi de la flamme de quatre fours à réverbère pour chauffer deux chaudières ellipsoïdes et produire de la vapeur. Ces quatre fours suffisaient pour produire une force de soixante-quatre chevaux. L'appareil tel que je l'ai fait exécuter existe encore à la forge de la Basse-Indre, près de Nantes." (cité en 1856, l'ordonnance royale du 20 Aout 1823 parle encore d"une pompe à feu ne brûlant pas sa fumée" ? ).

Alimenter Basse-Indre :

Le protectionnisme français en vigueur en 1816 est doublé en 1822 et plaçe l'usine en difficulté par manque de fonte locale : "Toutes fontes, tous vieux fers sont mis en oeuvre aux forges de la Basse Indre"*. L'armateur nantais Dobrée, d'une famille protestante émigrée, aidant au démarrage "y consacra de grands capitaux"*.

Les fontes proviennent des forges de Pouancé, Port Brillet (M&L), Château la Vallière (I&L), et par la mer des forges de Dordogne. La houille sera aussi française, régionale de Languin par Nort sur Erdre et par la Loire de Montrelais, Mouzeil, mais aussi de Decize (Nièvre) ou de la région stéphanoise.

Le rachat de l'entreprise par trois investisseurs parisiens apporte quelques complications. Sous la raison sociale Riant, Langlois et Cie la forge obtient de bons résultats, d'autres hauts fourneaux doivent être loués ou achetés Lanouée (Morbihan), Les Salles (C du N), le Plessis Bardoult et Roche (I&V), et en Loire Inférieure la Forge Neuve, la Hunaudière, la Jahotière, puis plus loin Mendive (Bas.Pyr.), Grèze (Lot & G.)*.

Patrimoine forestier :

"Les forges de la Basse-Indre en régénérant les hauts fourneaux de Bretagne, consomment une forte partie des houilles du département, qui, par malheur,ne peuvent satisfaire à tous les besoins de l'usine..."* A l'exemple de la Loire Inférieure d'autres départements profiteront du four à puddler : "Le charbon de bois ainsi devenu disponible, permettra un nouveau bond en avant dans la fabrication de la fonte, et le nombre de hauts-fourneaux va doubler dans l'espace d'un demi siècle" (en Hte Marne d'après Béguinot, 85 H Fx en 1856).

Le protectionnisme fausse si bien la sidérurgie qu'en même temps que l'on construit la forge à la houille de la Jahotière, le comte Onffroy, officier d'artillerie, construit un fourneau à bois, encore visible, sur sa terre du Plessis-Bardoult en Pléchatel (I&V) au Nord Ouest de Châteaubriant. Comme le montre les plans d'archives et une carte postale ancienne, la masse du fournau, un cube de pierre de 8 mètres de côté*, est équipée de soufflets hydrauliques en bois actionnés par le petit ruisseau de Rublard; l'usine, environnée de 9000 hectares de bois, semble n'avoir "rien oublié ni rien appris" depuis la Forge Neuve du 17ème siècle, seules les habitations et quelques aménagements ont une touche de modernisme néo-classique. Le haut-fourneau, mieux équipé par la suite, produit quelques objets moulés et surtout de la fonte pour la forge de puddlage de Basse-Indre*.

L'homogénité du fer "puddlé" lui donne une plus grande fiabilité (suppression des "soufflures", "retassures", "pailles" et "criques"), tout en lui gardant une bonne malléabilité, des qualités très favorables au laminage de tôles fines.

Une autre forge littorale à l'anglaise est créée en 1826 à La Joie près Hennebont dans le département voisin du Morbihan. Pour compléter les fourneaux bretons qui alimentent Basse-Indre puis Hennebont*, 4 hauts-fourneaux au bois sont construits : Pontcallec, Bénalec, Trédion, le Rodoir. Ces fourneaux sont les bienvenus pour le conservateur des Eaux et Forêts : "Le haut fourneau projeté à Lanvaux [Bénalec] devient donc utile au pays pour rendre une valeur raisonnable au bois de feu et pour encourager les propriétaires de taillis et sapinières recouvrant par ce moyen un revenu presque anéanti." Viendra encore en 1849 le fourneau de Rocaran à Bohal.

Quels procédés !

Suite à de nouvelles difficultés de la forge de Basse-Indre à la mort de Thomas Dobrée en 1829, les nouveaux maîtres de forge du Plessis Bardoult demandent en 1835 à construire une affinerie wallone au charbon de bois ! l'ingénieur des mines s'y oppose : "Le moment d'établir une forge est mal choisi, lorsqu'on laisse en chômage une grande partie de l'année les forges d'affinerie du voisinage établies depuis plusieurs siècles. La comparaison des prix de la fabrication dans l'usine de Basse-Indre et dans les anciennes forges prouve que cette modification dans le travail est devenue nécessaire, l'affinage à la houille présente une économie considérable sur l'affinage au charbon de bois,"*

Cet archaïsme est soutenu par les ouvriers qui ne connaissent pas d'autre activité de survie. En 1843 le Journal du Maine et Loire, préfigurant Zola, visite la forge de Tressé à Pouancé : "Autour de nous les hommes en chemises, à figures cuivrées, haletantes, couvertes de sueur, des enfants en guenilles, des mères en haillons... Vous quittez l'usine, et vous montez ensuite à la maison de plaisance de Trecé. Quel contraste ! "*.

En 1845 un journaliste de "l'Illustration" admire les grandes forges modernes de puddlage de Fourchambault : "Partout vous voyez, comme dans une fourmilière, des hommes au noir visage, aux mains puissantes, revêtus parfois de longues chemises, manier avec de longues pinces de lourdes masses de fer [...] Ainsi, dans ce coin de terre privilégié et naguère encore inculte, on trouve des usines, de joyeuses maisons d'ouvriers, une église, et partout l'aisance et la santé. Heureux pays ! heureux habitants ! "*.

Le Professeur Lafon, après sa visite du Creusot en 1883, n'y voit pas le bonheur ; "Le métier de Puddlleur qui, sans contredit, est le plus pénible de la Métallurgie, ne tardera pas à être adouci..."*.

Des châteaux seront construits, des fortunes faites, des faillites aussi. Des entrepreneurs bienveillants développeront des avancées sociales paternalistes, d'autres s'appuieront sur une organisation quasi militaire ou carcérale.


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© Georges Vanderquand
(2000)