La forge neuve

FER - FONTE - ACIER

L'ACIER S'IMPOSE

L'abolition :

Après le lent démarrage du Creusot (Saône et Loire), dépassé par Decazeville (Aveyron), Alais (Alès/Gard) ou Fourchambault (Nièvre), la croissance du Creusot s'accélére après le rachat en 1818 par Chagot puis Manby et Wilson en 1826 relayés en 1833 par les maîtres de forge et banquiers Boigues, Seillière, Schneider et devient, avant la fin de l'Empire*, une usine gigantesque aux profits énormes : les 160 fours à coke pour 13 hauts-fourneaux de 20 à 25 mètres, produisent 130.000 T de fonte par an, partiellement affinées en fer avec 9.950 ouvriers "au salaire toujours croissant"*, 130 fours à puddler, 85 fours à réchauffer, 30 marteaux-pilons, 15 laminoirs cingleurs, 26 pilons et 26 laminoirs de forge; 650 autres machines-outils construisent pour la marine, les Ponts, l'industrie, et aussi, pour les chemins de fer, 100 locomotives par an; l'ensemble dispose d'une force motrice totale dépassant 10000 chevaux vapeur par 186 machines d'une puissance de 5 à 200 CV. Concentration, gigantisme, localisation avantageuse et méthodologie de l'usine permettent une bonne gestion de l'ensemble et notamment de l'énergie provenant de la houille.

La sidérurgie française à la houille peut "triplement" profiter de ce demi-siècle protectionniste dont la sidérurgie au bois, encore active bien que minoritaire, est le meilleur faire-valoir. Les grandes sociétés sidérurgiques sont conscientes des progrès anglais et de la croissance des pays voisins : "Dès 1853, il était évident que le moment était venu pour les producteurs de houille et de fer, de se préparer par des efforts énergiques et intelligents aux demandes considérables qui allaient infailliblement surgir de tous côtés...Assurer aux forges leurs approvisionnements de houille... et compenser le prix abaissé de leurs livraisons aux usines à fer par leur participation aux profits de ces usines agrandies et fortifiées par leur concours," ( Société Boigues, Rambourg et Cie)*.

L'abolition partielle du protectionnisme débute en 1860 par le Traité du 23 Janvier entre France et Grande Bretagne et précipite la fin des fourneaux au bois. Eugène Schneider, qui profite de la pusillanimité sidérurgique, dira : "je n'aime pas ce Traité, parce que je n'aime pas les révolutions d'aucune sorte." Les droits sur l'importation du fer passeront de 15 F le quintal en 1816* à 30 ou 50 F le quintal (200%) en 1857, pour chuter à 6 F en 1864. Les droits sur la fonte augmenteront de 2 à 4 F en 1822* pour atteindre 7 F en 1857, et retomber à 2,75 F (loi du 18 avril 1857 et décret du 26 octobre 1860)*.

Nous n'irons plus au bois :

Pressentant la fin des forges au bois, les Demangeat vendirent la Hunaudière en 1853. En 1856, d'anciens ouvriers de cette forge, espérant une meilleure gestion dans une période momentanément favorable, demandèrent à construire un fourneau à Limèle en Sion, la demande fut agréée avec des réserves : "il est malheureux qu'ils s'obstinent à modeler leur usine sur celle de la Hunaudière"*: le fourneau ne sera jamais construit. Mais à la même époque Amand Franco, d'une vieille lignée de fondeurs, abandonnant la production de fer au bois, avait fait construire le premier CUBILOT* Wilkinson de Châteaubriant (brevet de 1794), plus économique qu'un four à réverbère, pour une fonderie de seconde fusion à la houille produisant des objets et pièces mécaniques à partir de fontes achetées à d'autres usines, cette fonderie eut un bel avenir. Par contre la Hunaudière est arrêtée dès 1860, mais le fourneau sera rallumé de 1873 à 1883 pour une petite moulerie locale.

La "levée des prohibitions" accélère le processus des cartels et associations des mines et des forges : verticalement, de mines en forges ou horizontalement, de mine à mine ou de forge à forge. On voit apparaître les cartels sidérurgiques français Wendel ou Schneider, Dufaud, Martin, Boigues, Seillère, Talabot, Rambourg... familles caractétistiques du patronnat français du textile et/ou de la métallurgie. On s'interroge sur l'évolution de la condition de vie des travailleurs et de l'inégalité sociale*. On produit alors en France 1.213.000 tonnes de fonte*dont 908.000 t au coke, 792.000 tonnes de fer et aussi 41.000 tonnes d'acier, un métal de luxe de plus en plus recherché qui va subitement être vulgarisé.

L'acier cémenté :

A la fin du 18ème siècle, l'ACIER au bas fourneau d'affinerie (v. supra), procédé direct, rapide pour la décarburation partielle de la fonte, méthode "allemande" ou "rivoise" (de Rives en Isère) ne pouvait s'appliquer qu'à certaines fontes "manganèsées" non sulfureuses ni phosphoreuses (mines de St Georges d'Hurtières), les résultats restaient aléatoires et insuffisants, les secrets de fabrications étaient encore bien gardés : "Or, si les aciéries de Rives restent les premières de France, la concurrence des célèbres forges autrichiennes de Styrie et de Carinthe, comme aussi celle des aciers anglais de cémentation, se fait de plus en plus sentir."*

L'ACIER cémenté est du fer superficiellement recarburé au charbon de bois et d'autres matières nitrurées, "Pour faire l'acier, on stratifie des lames de fer dans un grand fourneau avec des cornes et des ongles d'animaux,.."(1675 Nicolas Lémery)*, et au 19ème siècle "...les objets que l'on veut rendre en acier. Après les avoir entourés de matières diverses dans lesquelles il entre du carbone, charbon de bois pilé, des cendres mélangées de crottin de cheval, de poule, de vieille savate. On soumet la caisse en tôle à une température très élevée pendant plusieurs heures s'il est possible."* pratique très ancienne qui fut industralisée en Angleterre dans des fours de cémentation de 5m de diamètre et 10m de haut; l'acier cémenté obtenu est parfois découpé et forgé rebattu pour corroyage homogénisation et carburation à coeur.

Les tentatives de Réaumur, en 1722, pour décarburer partiellement la fonte dans un CREUSET avec des minerais et scories oxydants n'aura pas d'application pratique à la production d'acier. En 1740 l'horloger anglais Huntsman met au point un procédé pour refondre en un petit creuset des lames d'acier cémenté et obtenir un acier fondu homogène de grande qualité. L' allemand Friedich Krupp se spécialise dans la production industrielle d'acier fondu au creuset, en 1839 son fils Alfred espionne les secrets anglais*.

Appelé par Louis XVIII, James Jackson introduit la méthode anglaise de cémentation et fusion au creuset, son aciérie de Trablaine (Loire) aura un grand succès de qualité exigée par les techniques modernes et, malgré un processus long (8 à 14 heures) et coûteux, détrônera la méthode rivoise du Dauphinée. Les tours de cémentation se dressent en nombre : "*...les fours à cémenter, indistincts, pareils aux constructions coniques de quelque culte barbare" (Zola).

En 1852 à Unieux (Loire), Jacob Holzer introduit l'acier au four à puddler à partir de bonnes fontes manganésées complètées de fer. Bien qu' encore semi-artisanal ce procédé fiable et plus rapide que la cémentation conduira à d'autres inventions. La production d'acier est alors à la veille d'être bouleversée mais les principes de cémentation, favorables à la réalisation de certaines pièces mécaniques, subsistent toujours avec leurs dérivées de cyanuration et nitruration.

L'acier Bessemer :

Déjà en 1864 les forges de Saint Chamond (Loire) fournissent les premiers rails français d'acier Bessemer : "ce procédé, qui a eu beaucoup de retentissement et qui peut subir encore de nombreux perfectionnements, a jusqu'à présent donné de meilleurs résultats pour l'acier que pour le fer." Cette réflexion de l' ingénieur Maillet montre qu' il est encore inconcevable de se passer du fer doux de forge, l'essence même de la sidérurgie d'alors*.

Pourtant le procédé anglais Bessemer breveté en 1853 apporte une prodigieuse simplification de l'affinage; le pénible puddlage, semi-artisanal, évolue vers un affinage spontané et rapide par insufflation d'air dans plusieurs tonnes de fonte liquide, oxydée dans un convertisseur qui est une cornue basculante crachant le feu.

La réaction exothermique ne consomme pas de houille; toutes les actions mécaniquement asservies produisent du fer aciéré, plus de 10 tonnes en vingt minutes* de cet acier si difficile à maîtriser jusqu'àlors, la perte en poids de la fonte traitée est réduite de moitié et n'est plus que de 15% et le débit d'un convertisseur est de 500 à 1000 fois plus important que celui d'un four à puddler ; une puissance de 300 à 500 CV est nécessaire pour l'insufflation d'air à 2 bars dans la cornue et il a fallu trouver des solutions pour les installations commandées à distance par un mécanicien.

Les premiers résultats français de ce procédé ont lieu en 1862 à Saint Seurin (Gironde), où Napoléon III avait fait venir Bessemer en 1859*; dans les forges de James Jackson fils* plusieurs inventeurs participent à la mise au point du procédé lié à plusieurs avancées techniques importantes jusqu'en 1859. Le premier pont français en acier Bessemer est présenté en 1867 à l'exposition universelle de Paris et, l'Etat a le secret de ses desseins, le pont est installé sur la Vilaine au port de Roche (Langon I&V), port d'expédition, avec Nort sur Erdre, des fers au bois de Martigné ou de la Hunaudière; le pont, armorié des emblèmes Napoléon III, est inauguré en 1868 par le Préfet Lefebvre. A cette même exposition universelle "Somptueuse, gigantesque, elle fut surtout bizarre. Le grandiose n'est point la grandeur." les usines Krupp exhibent un énorme canon d'acier allemand, lequel trois ans plus tard, bombardera Paris*.

L'acier Martin-Siemens :

Le convertisseur Bessemer ne convient pas aux fontes de minerais sulfureux ou phosphoreux comme ceux traités à Moisdon, aussi un nouveau four à réverbère améliorera de telles fontes par addition de fers de récupération aux fontes françaises.

Un procédé imaginé par l'allemand Siemens pour récupérer la chaleur des fourneaux est utilisé à cet effet en 1864 à Sireuil près de Ruelle (Charente) par les français Emile et Pierre Martin : une élaboration plus lente donne des aciers très homogènes aux qualités bien définies, la combustion du carbone dans le bain de fonte provoque un bouillonnement, le pénible brassage manuel est évité, la charge du four pourra dépasser 10 tonnes. Des fours à puddler encore en service s'adaptent aussi au récupérateur de chaleur Siemens.

Pour ses tôles fines de conserveries, l'usine à Hennebont s'équipe d'un four Martin en 1885 et Basse-Indre en 1887 s'équipe d'un four de 12 t, puis d'un 2ème de 20 t en 1898*. (Basse-Indre, "Ponctuation", Usinor.)

L'acier Thomas :

L'évolution se poursuit par les anglais Thomas et Gilchrist qui feront adopter en 1878 un revêtement interne basique pour traiter les fontes phosphoreuses dans la cornue Bessemer, cette invention avantagera les pauvres "minettes" lorraines de la société de Wendel & Cie, les scories basiques et phosphoreuses serviront d'engrais aux agriculteurs.

Les mêmes briques réfractaires de dolomie et magnésie seront utilisées par les français Pourcel et Valrand en 1881 pour garnir l'intérieur des fours Martin du Creusot.

Les aciers spéciaux :

Des fours à arcs électriques à haute températures, mis au point par Héroult en 1886 pour des aciers spéciaux, seront installés à Montluçon (Allier) : le 20ème siècle sera celui des aciers spéciaux, à haute résistance, de blindage, d'outillage, de construction mécanique, pour les outils à coupe "rapide", pour la résistance aux chocs, à l'abrasion, à la traction, à la compression, à la striction, au froid, à la chaleur, à la corrosion, à l'oxydation... ils seront alors au chrome, cobalt, manganèse, molybdène, nickel, tungstène, vanadium...le souffre et le phosphore, nuisibles impitoyablement pourchassés, apportent eux aussi parfois certaines caractéristiques utiles. L'automobile, objet de consommation "très courant", recourt à toutes ces qualités d'aciers "alliés".

La disparition du fer :

Alors que nous abordons le 21ème siècle ces principes de sidérurgie, toujours en évolution, sont encore d'actualité, certains viennent seulement d'être abandonnés. Avec un retard sur l'Angleterre, les premiers ponts métalliques parisiens (des Arts 1801), les grands magasins, l'église Saint Augustin, les halles de Baltard avaient été soutenus par la fonte. La galerie des machines et la tour Eiffel* (7000 t) de l'expo 1889 furent encore érigées en fer puddlé laminé, comme les gares et les viaducs des chemins de fer (Garabit 1884), le cher acier ne pouvait suffire à la demande, mais suivant le pont de Roche (I&V) en 1867, déjà cité, les ponts Mirabeau de 1893 (Résal), Alexandre III de l'expo 1900 et tous les grands ouvrages du monde comme les gratte-ciel et les grands ponts feront dorénavant appel à l'acier.

Avec des bois de plus en plus chers et un abaissement des barrières douanières, les fourneaux sylvestres ne peuvent plus s'adapter à cette révolution de l'acier, en 1868 l'ingénieur des Mines est décisif : "La raison d'être de toutes ces usines étaient l'exploitation des forêts au milieu desquelles elles sont établies." et, un an après, l'industriel nantais Joseph Babonneau fait à la Chambre de Commerce un triste constat : "Nous citerons d'abord l'arrêt et la fermeture de tous les hauts fourneaux de nos environs : Moisdon, La Poitevinière, La Prévière, Roche, Martigné, La Hunaudière qui faisaient vivre toutes les populations avoisinantes. Vous avez vu ensuite succomber après une lutte de quelques années les Forges Maritimes de Nantes [Babonneau pour le puddlage]. Cette usine employait 300 ouvriers qui, en travaillant élevaient leurs familles et qui sont aujourd'hui dans la misère."* Le conseil de surveillance de Basse-Indre disait alors : "il faudrait un jeune capable de faire évoluer..."* La guerre de 1870 prolonge l'activité de l'usine nantaise qui fermera définitivement le dernier atelier de chaînerie en 1873.

Plus de la moitié du réseau ferroviaire reste à construire et une partie du réseau en fer sera bientôt à re...faire, ce qui demande un certain délai pour approvisionner les rails d'acier, 104000 t de rails en fer sont encore installés en 1873, alors qu'on ne produit que 52000 t de rail d'acier, ce chiffre va rapidement progresser jusqu'à 342000 t.

Les fours Martin seront alimentés par les derniers rails de fer déclassés, en 1883 il n'y a plus de rail de fer et le réseau ferroviaire est presqu'achevé, les rails d'acier étant pratiquement inusables la production des rails va alors s'écrouler*.

Au delà des crises d'adaptation du marché, la production mondiale d'acier n'a cessé de croître en réalisant des mutations techniques incessantes.

En 1857 les hauts-fourneaux de Moisdon alimentent la forge de puddlage de Basse-Indre* reliée comme Indret, jusqu'à Brest aux ports militaires bretons par ce "canal du fer"* tant espéré par Napoléon Ier. En 1862 Basse-Indre rachète la Forge Neuve pour 80000F, la remet en vente dès 1864*, et sa production est très ralentie jusqu'en 1869, ce sera sa fin, vendue en 1886, Basse- Indre se modernise, la vitesse et la puissance des laminoirs progressent et le puddlage est définitivement arrêté en 1888 : le prix de vente du quintal de fer laminé est tombé de 32 Fr à 17 Fr, le fer ne pouvait résister à l'acier*.


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© Georges Vanderquand
(2000)